« Faire tout ce que tu veux, sauf du cinéma ! »
Plage des Palmes. C’est l’heure de table. Le monde du cinéma s’est donné rendez-vous. Comédiens, réalisateurs, producteurs profitent de ce moment pour échanger autour du monde qui est le leur : le cinéma. Son avenir surtout. Parmi les convives, il y a Sarah Lelouch, la fille de Claude Lelouch. Lunettes de soleil, sourire chaleureux, elle accepte de nous rencontrer avant d’aller retrouver la table de son père.
Sarah, puis-je vous demander la raison de votre présence au Festival de Cannes ?
Je viens tout d’abord en tant que productrice avec des films que j’ai besoin de monter financièrement. J’ai aussi monté la première plateforme communautaire qui permet au grand public de participer à la création et production de films du début à la fin. Permettre donc à tout un chacun de faire du cinéma, de déposer des projets. D’ailleurs, j’utilise des nouvelles technologies pour justement protéger les projets car c’est difficile de déposer un projet. Forcément, j’utilise l’intelligence artificielle mais beaucoup en workflow et fort de ces sujets de cinéma et de nouvelles technologies, j’ai découvert il y a 3 ou 4 ans que c’était un boulevard pour le cinéma. C’est quand même incroyable que les gens et l’industrie du cinéma aient peur des mots comme l’ IA alors que c’est leur avenir et même leur présent. Dans ce contexte, j’ai créé aussi autre chose : un réseau d’affaires où l’on réunit tous les gens de la « tech » et du cinéma pour qu’ils puissent échanger sur leurs projets. Il faudrait que les gens de la « tech » aient moins peur de l’écosystème du cinéma et que les gens du cinéma aient moins peur de l’écosystème de la « tech ». Ils travaillent tous de leur côté pour ensuite se retrouver. Perso, j’ai plutôt envie de dire l’inverse à savoir qu’ils discutent, échangent, travaillent ensemble puis après développent ce qu’il faut pour que cela fonctionne. L’IA est un exemple très parlant. Aujourd’hui, l’IA ne cesse de créer des débats dans le cinéma et je me dis « ils n’auraient pas dû en parler un petit peu avant » ?
Mais comment ne pas avoir peur de l’IA ?
L’IA est un outil. Quand arrive la couleur au cinéma, on a peur. Quand les effets spéciaux sont arrivés, on a eu peur. Quand la 4K est arrivée, on a eu peur. On disait : « non, je préfère tourner en 35 mm ». L’IA, c’est la possibilité d’aller chercher du savoir. Mais, une innovation aussi puissante soit-elle, n’a aucune utilité s’il n’y a pas les artistes derrière pour la mettre en scène. C’est l’humain qui a le talent. Je pense que l’IA est un outil supplémentaire qui déstabilise les gens qui sont artistiques parce qu’ils se disent qu’en mettant trois mots sur un prompt de cinq lignes, ils obtiendront quelque chose de formidable. Sauf qu’à moins d’un miracle, l’artiste n’obtient pas ce qu’il souhaite. Ce n’est qu’une base de travail. Il obtient quelque chose qui est peut-être formidable mais qu’il va rendre encore plus formidable à travers les instructions données à l’IA. Il faut donc un artiste derrière. D’ailleurs, mon père est très intéressé par cet outil et quand on lui a présenté des gens qui travaillent dans l’IA, on lui a expliqué qu’il va falloir leur indiquer où il va placer la caméra. Donc la technologie ne remplacera jamais le talent.
Vous avez créé le tout premier Festival de l’IA. Vous pouvez nous en parler ?
Effectivement, j’ai créé le premier festival dédié aux œuvres qui ont été produites ou réalisées grâce à l’IA. Cela a été très impressionnant parce que c’est là que l’on voit au niveau du talent de faire des films. Nous avons reçu 1600 films du monde entier soit de 55 pays différents. C’est aussi un très bon indicateur pour voir quels sont les pays qui sont déjà très « culturés ».
Quel est votre regard par rapport à la position des Oscars vis-à-vis de l’IA et ce « scandale » qui a touché le film « The Brutalist » ?
Eh bien, au final, c’est quand même Adrian Brody qui a gagné l’Oscar du meilleur acteur. Le cinéma, c’est aller chercher des parfums de réalité. L’IA peut accentuer cela et apporter encore plus de parfums à la réalité, pourquoi s’en priver ?
Aimeriez-vous aller plus loin dans la réalisation ?
J’aimerais mais je n’ai pas la place. Mon père occupe une grosse place là-dessus. En revanche, le métier de productrice me convient très bien parce qu’un producteur, c’est aussi un metteur en scène. D’ailleurs mon père est réalisateur et producteur. Il est vrai qu’un producteur est un chef d’orchestre qui va choisir un projet de film, choisir le réalisateur, s’il n’y en pas encore pour le faire. C’est lui qui va déterminer le budget, le décor et qui va diriger lui-même son réalisateur. Donc, « le réalisateur et le producteur » est une relation toujours difficile mais indispensable. Finalement, si on devait dire qui est le chef d’orchestre, je ne saurais pas dire si c’est le réalisateur ou le producteur car sur certains films, c’est le réalisateur et d’autres, le producteur.
C’est dès lors compliqué d’être la fille de Claude Lelouch si on veut rentrer dans le monde du cinéma en tant que réalisatrice ?
En tant que réalisatrice, oui clairement. Ma mère m’a toujours dit : « Sarah, dans la vie, tu peux faire tout ce que tu veux. Sauf du cinéma » !
Propos recueillis à Cannes par Thibaut Demeyer
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