Glen Rogers, une bombe à retardement ? (The Cross Country Killer / The Casanova Killer)

7 novembre 1995. Un agent d’entretien pénètre dans la chambre 119 du Tampa 8 Inn motel. Un tas de vêtements humides, des baskets, du papier toilette et des serviettes tachées de sang habillent le carrelage de la salle de bain. Dans la baignoire gît le corps d’une femme, poignardée. Un nom figure sur le registre de réservation, celui de Glen Rogers.

MEURTRES À LA CHAÎNE

Le 28 septembre 1995 Sandra Gallagher, 33 ans, tombe sur Rogers dans un bar western de Van Nuys, à Los Angeles.
Barbe hirsute, longs cheveux blonds et frange rideau laissant entrevoir un regard azur, l’homme est charmant. Rein Keener, employée comme barmaid ce soir-là, raconte qu’elle aperçoit celui que la presse surnommera bientôt The Casanova Killer tâcher d’apprendre quelques pas de two-step à Gallagher. Le lendemain, le corps carbonisé d’une femme est retrouvé dans une camionnette en feu sur un parking. La propriétaire du van est rapidement identifiée grâce à l’analyse de ses effets personnels et de sa dentition. Sandra Gallagher a été étranglée à mort. Les prélèvements de la scène de crime montrent qu’un agent accélérateur a été utilisé. Plusieurs témoins oculaires certifient avoir vu le duo ce soir-là. Rogers est identifié grâce aux archives de la police. Des fouilles, organisées à son appartement de Van Nuys, permettent de découvrir une boucle d’oreille appartenant à la victime. Rogers est maintenant recherché mais la police, bien que renseignée par un ami proche du suspect, le loupe de peu, arrivant à l’hôtel où il séjournait dans le Mississipi après son départ.

Linda Price, 34 ans, rencontre Rogers lors d’un concert de musique country. Les deux amants débutent une idylle qui poussera la femme de ménage à quitter le domicile de sa mère pour emménager avec son nouveau compagnon à Jackson au bout de quelques jours. L’appartement est modeste, les amoureux payent un loyer d’à peine 385 $ mais Price se fait une joie de décorer les lieux. Malheureusement leur histoire prend une tournure beaucoup plus sombre quand Rogers la bat quelques semaines plus tard. Price, qui a déjà connu des relations violentes, commence à douter de son couple et redoute les sautes d’humeur de son conjoint. Après une semaine sans recevoir la moindre nouvelle de sa part, ses proches se rendent à son domicile. C’est donc le 3 novembre 1995 qu’ils découvrent le corps poignardé dans la baignoire, un gant de toilette recouvrant son visage, selon le Los Angeles Times. Un mandat d’arrêt fédéral est alors émis à l’encontre de Rogers.

UN DERNIER BAIN

Samedi 4 novembre 1995. Rogers réserve une chambre pour deux nuits à l’accueil du Tampa 8 Inn motel. Les clefs de la 119 lui sont confiées. Le lendemain, ayant décidé de sortir, il se rend au Showtown Bar, à Gibsonton. Face au jukebox, le nomade repère un groupe de femmes. Après avoir payé des verres aux quatre amies, l’une d’elles retient son attention. Tina Marie Cribbs, 34 ans, travaille comme serveuse à temps partiel et femme de ménage à temps plein au Ramada Inn, Apollo Beach. Il lui demande de le raccompagner. Elle accepte volontiers et prévient ses collègues qu’elle sera de retour un quart d’heure plus tard. C’est la dernière fois que Cribbs est vue en vie. Elle ne se présente pas à son poste en ce début de semaine alors que le fugitif a réservé une nuit supplémentaire au motel.

Le réceptionniste a pour consigne de ne pas nettoyer la chambre. Son client a même demandé une pancarte “Ne pas déranger” à accrocher sur la poignée. Vers 9 heures ce lundi matin, un employé voit Rogers mettre ses affaires dans une Ford Festiva blanche avant de quitter le motel, seul à bord du véhicule. C’est enfin le mardi 7 novembre qu’un agent d’entretien pénètre dans la 119. Il y découvre le corps de Cribbs, allongé sur le dos dans la baignoire. La victime porte encore un t-shirt, des sous-vêtements et ses chaussettes. Cribbs présente plusieurs blessures à l’arme blanche d’une vingtaine de centimètres de profondeur. Selon l’analyse des plaies, la lame semble avoir été tordue à 90 degrés pendant que cette dernière était plantée dans le corps de la victime, encore en vie et totalement consciente. On relève aussi plusieurs ecchymoses et écorchures défensives sur le corps, notamment au niveau du poignet et de l’avant-bras gauche. Le rapport toxicologique montre que Cribbs présente un taux d’alcoolémie de 0,14 grammes et est positive aux cannabinoïdes, que l’on trouve dans la marijuana.

LA VICTIME DE TROP

10 novembre 1995, Bossier City, Louisiane. Andy Jiles Sutton, 37 ans, est poignardée sur son lit au niveau du thorax. Elle avait fait connaissance avec Rogers un soir autour d’une bière, au Touch of Class, à peine quelques jours avant. Sa colocataire raconte qu’en rentrant du travail ce soir-là, elle n’entend rien dans l’appartement et pense que son amie est avec son nouveau compagnon. Elle découvre le corps inanimé le lendemain lorsque l’ex-mari de Sutton passe à l’appartement pour la voir.

Roger semble cibler une catégorie d’individus bien précis : des femmes, aux cheveux roux, ayant essuyé des échecs sentimentaux. Sa première victime dénote, cependant, avec le profil établi. L’homme, un certain
Mark Peters, électricien de carrière de 71 ans qui avait accueilli Rogers chez lui avant d’être porté disparu, courant octobre 1993. Avec lui s’étaient volatilisés sa voiture et plusieurs objets de valeur comme des antiquités, des armes à feu ou encore une collection de pièces de monnaie. C’est l’un des frères aînés du fugitif, Clay, qui mettra les forces de l’ordre sur la piste. Le 10 janvier 1994 on retrouvait donc, dans une cabane appartenant à la famille Rogers à Beattyville dans le Kentucky, le squelette du retraité, attaché à une chaise et recouvert par un tas de vieux meubles.
L’une des hypothèses privilégiées pour expliquer les passages à l’acte meurtriers de Roger serait donc le gain pécuniaire.

HIGHWAY TO HELL 

Glen Rogers, responsable du meurtre de pas moins de quatre femmes en six semaines, fait alors partie de la liste des fugitifs les plus recherchés par le FBI dans tous les États-Unis. « Si tu entends ça je t’en supplie, s’il te plaît abandonne, s’il te plaît je t’aime très fort et je crois en toi, s’il te plaît, s’il te plaît abandonne » implore Edna Rogers, la mère du meurtrier, dans un ultime appel à la raison.

13 novembre 1995, le criminel rend visite à l’une de ses parentes dans le Kentucky. Le sachant recherché elle informe les autorités de sa présence le jour-même et leur précise qu’il compte emprunter l’autoroute 75 en direction de Waco, au Texas. La police d’état repère le véhicule et prend en chasse le fugitif. Un barrage routier est mis en place. Les agents ouvrent le feu et réussissent à toucher les pneus mais le récidiviste prend la fuite en remontant l’autoroute par l’autre voie, en sens inverse, malgré le trafic.

La chasse à l’homme nationale prend fin après une course poursuite de plus de 20 km à 160 km/h lorsqu’un sergent parvient à percuter la voiture volée avec son véhicule de patrouille, la faisant ainsi sortir de la voie. Le Cross-Country Killer est aussitôt encerclé d’officiers. Une fouille minutieuse de la Ford révèle, entre autres, que Rogers se déplaçait avec des plaques d’immatriculation du Mississippi et de la Floride, des vêtements maculés du sang de Cribbs et les clefs de la chambre 119. Suite à son arrestation, le trentenaire est interrogé pendant environ six heures, durant lesquelles il se montre relativement coopératif.

UNE ENFANCE PERTURBÉE

Né par césarienne le 15 juillet 1962, à Hamilton dans l’Ohio, Glen Edward Rogers est un enfant issu d’une famille nombreuse qui grandit dans un environnement privé d’affection. La fratrie compte sept enfants. Edna Rogers est femme au foyer, tandis que Claude Rogers est un ancien militaire, employé en tant qu’opérateur de machine pour la Local Champion Paper Company. Le père de famille perd son travail en raison de son alcoolisme. La famille, n’ayant plus les moyens de maintenir son train de vie, est contrainte de déménager dans une maison bien plus petite. Les Rogers souffrent de gros problèmes financiers, à tel point que l’alimentation des enfants est à base de gruau.

Le foyer est marqué par la violence, aussi bien psychologique que physique. Claude bat son épouse. Edna, quant à elle, est une mère abusive qui frappe Glen lorsqu’il est enfant jusqu’à ce qu’il perde connaissance ou lui maintient la tête sous l’eau du bain volontairement. Elle aurait également essayé de mettre fin à ses jours en provocant un accident avec ses enfants à l’arrière du véhicule. « Ma mère était une femme malade, colérique et très triste. Je la détestais » déclare l’accusé qui a souffert d’énurésie jusqu’à l’âge avancé de 12 ans.

DÉBUT DANS LA DÉLINQUANCE

C’est à l’adolescence que Rogers commet ses premiers cambriolages avec son frère Clay. Il est envoyé en maison de redressement mais est rapidement introduit au monde de la consommation. Son père le faisait déjà boire alors qu’il n’était encore qu’un enfant. Consommateur régulier de cocaïne, il est dépeint comme un jeune homme violent et agressif. Son état de santé ne fait qu’empirer, le jeune Glen faisant sa première tentative de suicide en 1975, à l’âge de 13 ans seulement. En 1986, il se rend aux urgences après avoir pris des cachets et s’être injecté de la bière dans les veines. Il réitère l’expérience en 1991.

Le parcours scolaire de Rogers est également chaotique. Fauteur de troubles, il est renvoyé de son lycée avant ses 16 ans avec des F. Sa petite copine de l’époque, Deborah Ann Nix, 14 ans, tombe enceinte d’un autre garçon. Glen encore mineur adopte et assumera l’enfant. Le couple se marie en 1980 et aura un petit garçon l’année suivante. Persuadé que son épouse est infidèle, il finit par porter la main sur Deborah. Cette dernière demande le divorce suite à la nécessité de recourir à plusieurs chirurgies réparatrices.

Rogers aura une autre relation par la suite ainsi qu’un autre enfant, mais encore une fois, elle prendra fin en raison des violences de Glen. Courant 1989, alors qu’il a 27 ans, lui et son frère Clay abusent sexuellement une jeune femme du nom de Joyce Arthur après l’avoir fait boire. Au-delà des cambriolages et des violences domestiques ou sexuelles, Rogers traîne plusieurs condamnations pour état d’ébriété sur la voie publique ou encore de conduite en état d’ivresse. Ses démêlés avec la justice ne s’arrêtent pas là puisqu’en 1995 il est arrêté pour agression avec une arme à Los Angeles et à nouveau pour violences conjugales. Le multirécidiviste est alors incarcéré quelques semaines, avant d’être remis en liberté.

PSYCHOSE, TRAUMA CRÂNIENS ET AMPHET : UN COCKTAIL EXPLOSIF

Dans son passif avec le système judiciaire, quand il a commencé à tuer, ou dans cette escalade de violence dans ses passages à l’acte, Rogers n’est pas un cas isolé. C’est ce qu’on retrouve chez bon nombre de tueurs en série, à l’instar de Robert Ben Rhoades, le tueur d’auto-stoppeuses. Rogers est décrit comme un homme charmant et souriant par les familles des victimes qu’il a fréquentées, mais est aussi instable.

Dans un rapport de la cour suprême de Floride datant de 2001, le Dr Berland, psychologue judiciaire s’étant entretenu avec l’accusé pendant une quinzaine d’heures, affirme que Rogers présente la symptomatologie typique d’un trouble psychotique. On distingue chez lui l’apparition d’hallucinations auditives, visuelles et tactiles. L’accusé confie, par exemple, entendre des voix qui le mettent en garde et lui donnent des ordres depuis qu’il est enfant. Il a aussi parfois l’impression de sentir quelque chose ramper sur sa peau. Rogers fait également état de croyances paranoïaques délirantes, pensant qu’il est suivi et admet traverser des épisodes de manie d’une durée d’environ deux jours depuis la vingtaine. État dans lequel il est incapable de rester assis ou de dormir. Pour pallier ces effets, Rogers s’auto-médicamente avec de l’alcool et des drogues. Berland avance que l’abus d’amphétamines serait, en partie, à l’origine de sa paranoïa.

Selon l’expert psychologue, le trouble psychotique chronique dont souffre Rogers est d’origine biologique, résultant en grande partie d’une série de lésions cérébrales. Le psychiatre Michael Maher, souligne des antécédents importants de traumatismes à la tête. Des lésions cérébrales pouvant conduire, entre autres, à la perte de mémoire ainsi et surtout qu’à une absence de contrôle des pulsions induisant des réactions violentes. Maher estime que l’exposition de Rogers à un environnement violent durant son enfance, où la menace est constante, tend à développer une réponse violente au stress et à la frustration. À titre d’exemple, courant 1991, Rogers a, en effet, participé à une bagarre dans un bar dont il ne se souvient pas. À cette occasion et suite à un coup avec une queue de billard, il est transporté aux urgences pour des lésions structurelles suite à une hémorragie cérébrale. Selon le Dr Berland, ce type de blessure se traduit souvent par une paranoïa accrue et donc un sentiment de colère injustifié. De plus, Rogers souffre d’une malformation congénitale, fruit de complications durant la grossesse de sa mère, à la naissance ou au cours de la première année de sa vie.

FACTEURS ATTÉNUANTS

Rogers a un quotient intellectuel de 76 soit un QI relativement bas, en-dessous de la moyenne et qui tend vers le retard léger. De plus, à l’âge de 24 ans, on diagnostique chez Rogers une maladie génétique rare, la porphyrie, aussi appelée « maladie des vampires ». Chez l’accusé cette pathologie, qui s’exprime surtout sous la forme de taches rougeâtres lorsqu’il est contrarié ou en colère, pourrait avoir contribué à sa psychose. La porphyrie a, en effet, un impact important sur le système nerveux central. La porphyrie, même sans substances, peut provoquer des trous de mémoire au cours desquels le sujet devient confus, frustré voire bouleversé. Cette perte de mémoire peut s’étendre sur plusieurs jours et la consommation d’alcool précipite les épisodes de porphyrie.

Le Dr Maher a conclu que la capacité de Rogers à se conformer aux exigences de la loi aurait été substantiellement altérée. Les experts ont donc statué quant au fait que les troubles de Rogers ont interféré avec sa connaissance du bien et du mal et peuvent, par conséquent, être considérés comme des circonstances atténuantes. L’accusé n’en reste pas moins légalement responsable de ses actes.

MISSIONNÉ par O.J. SIMPSON ?

Rogers est reconnu coupable des meurtres de Tina Marie Cribbs en Floride et de Sandra Gallagher en Californie. L’auteur des faits est donc condamné à la peine de mort en 1997 et en 1999, faisant de lui le premier meurtrier extradé du couloir de la mort d’un État pour être jugé dans un autre. Rogers persiste à clamer son innocence malgré la date de son exécution initialement prévue le jour de la Saint-Valentin 1999. Il fait appel mais la condamnation est confirmée en 2001. En avril 2005, il fait à nouveau appel. Demande rejetée.

Le condamné sera suspecté dans l’affaire surmédiatisée O.J. Simpson (ancien joueur de football américain et acteur hollywoodien), revendiquant lui-même son implication dans les meurtres de Nicole Brown et de Ron Goldman. Il affirme que Simpson en personne l’a missionné de s’introduire dans la maison de Brown afin de voler des boucles d’oreilles en diamant, d’une valeur de 20 000 $, que O.J. lui avait offertes. Il fournit également des détails sur l’homicide. Cependant, la thèse privilégiée est que l’intention de Rogers, en affirmant avoir joué un rôle dans les meurtres, était en réalité de retarder son exécution.

Le serial killer a revendiqué avoir fait approximativement 70 victimes avant de se rétracter. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il laisse au moins 11 enfants sans leur mère. Aujourd’hui Glen Rogers, âgé de 62 ans, se trouve toujours dans le couloir de la mort à la Union Correctional Institution de Floride.

On se retrouve dans « Portraits Criminels par Swen » tous les premiers vendredis du mois pour une nouvelle affaire. En attendant, vous pouvez accéder à différents dossiers criminels, sous la forme de vidéos documentaires, sur la chaîne Youtube : Swen True Crime.

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Diplômée d’état en psychologie, à la tête de « Portraits Criminels par Swen », responsable communication et rédactrice des avis de recherche pour les cas de disparition recensés par la délégation régionale Grand-Est de l’association Assistance et Recherche de Personnes Disparues, rédactrice pour la rubrique « Réseaux Pédocriminels » de l’association Wanted Pedo, intervenue en tant que chroniqueuse judiciaire pour Enquêtes Criminelles sur W9, vidéaste et artiste indépendante

Numéros utiles :

31 14 : plateforme d’écoute pour les personnes en détresse psychologique, permet d’échanger avec des professionnels de la psychiatrie et de la santé mentale (psychiatres, infirmiers spécialisés et psychologues), gratuit et accessible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

39 19 : plateforme d’écoute des victimes de violences conjugales, sexistes et sexuelles, accessible 24h/24 et 7 jours sur 7, informe et oriente vers des dispositifs d’accompagnement et de prise en charge (anonyme et gratuit donc n’apparaît pas sur les factures de téléphone)

0 801 230 520 : contact avec un avocat bénévole présent pour répondre aux questions relatives aux violences conjugales, du lundi au vendredi de 9h30 à 12h30 et de 14h à 17h.

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